Comment avez-vous réagi personnellement et comment réagissez-vous en tant que marque à cette crise ?
J’ai personnellement été très surpris, et je reste très impressionné, par l’arrivée fulgurante et l’ampleur de cette crise.
Cela nous a demandé un pilotage quotidien de la situation. Réfléchir toujours à l’étape suivante pour ne pas subir : mise en place proactive du télétravail, des mesures sanitaires, prise d’information quotidienne auprès des partenaires logistiques et des fournisseurs, rester à jour de chaque nouvelle demande ou dispositif d’aide du gouvernement, sondage des équipes et de la communauté, etc.
Nous avons donc fermé l’intégralité de nos boutiques et imposé le télétravail avant que cela soit obligatoire. Nous avons ensuite observé une réduction par 4 du chiffre d’affaires e-commerce, dès le démarrage du confinement, et avons opté pour une prise des commandes avec livraisons décalées. Du jamais vu pour notre label qui a pourtant encore connu une croissance forte et pérenne en 2019. Et dans un secteur fragilisé par les mouvements sociaux, grèves, omniprésence des promotions, j’imagine que la situation doit vraiment être dramatique pour des sociétés déjà en difficulté.
Comme nous avions beaucoup discuté de la crise possible avec nos managers avant le confinement, nous avions également rédigé un document exhaustif sur les mesures à prendre en boutique, que nous avons partagé avec d’autres marques, les fédérations, des distributeurs.
En tant que dirigeants, notre seconde priorité est à présent de défendre les intérêts économiques de la société. Nous devons maintenir une activité quotidienne pour protéger ainsi les emplois et nos perspectives futures.
C’est aussi important de garder la tête froide en agissant de manière graduelle, sans céder à la précipitation, pour que l’entreprise se replie et se ré-organise avec des collaborateurs rassurés, sans panique. C’est avec la même approche graduelle que nous nous redéployons progressivement et étudions la reprise des expéditions e-commerce, le retour aux bureaux, la ré-ouverture des boutiques…
Je trouve que les aides de l’État, exceptionnelles dans leur ampleur, sont à la hauteur de la crise. J’imagine aussi que mettre l’économie en perfusion, plutôt que de lui laisser absorber la totalité du choc, permettra aux entreprises de redémarrer et de se ré-organiser plus rapidement.
Enfin, sur leur nature, ces mesures publiques me semblent être les bonnes. Le recours au chômage partiel facilité et fortement subventionné est notamment bienvenu chez nous car il nous permet de réduire une voilure aux coûts fixes proportionnellement importants (masse salariale, loyers) en tant qu’entreprise de production et distribution.
Le Prêt Garanti par l’État (PGE) me semble à la fois assez important en montant (3 mois de chiffre d’affaires), suffisamment accessible sur les critères d’obtention, et en même temps suffisamment restrictif pour que l’État ne prenne pas d’engagements trop importants en cas de défauts de paiement massifs. Idem pour le Prêt Atout mis en place par Bpifrance.
Les autres mesures favorisant la trésorerie des sociétés (décalage de charges, des loyers) sont plus anecdotiques pour nous car nous avons sécurisé du financement juste au début du confinement, mais elles auraient été bienvenues le cas échéant.
Qu’est ce qui est le plus difficile ? A contrario, qu’est-ce que permet cette crise ?
Le plus difficile nous semble être d’animer l’équipe en télétravail. Les réunions physiques, souvent décriées dans les théories modernes de management, se révèlent finalement plus utiles qu’on pouvait le penser pour partager des idées, être certains de bien se comprendre, créer une vie d’équipe. Heureusement nous pouvons compter aujourd’hui sur un maillon managérial expérimenté, et des collaborateurs de grande valeur à tous les niveaux. Et avoir adopté le télétravail déjà bien avant la crise rend sa généralisation plus facile.
C’est par contre assez désagréable de devoir refaire tout le budget 2020 de manière aussi pessimiste : prioriser certains projets aux dépens d’autres, décaler des recrutements, renégocier des échéances comme la prise de bail de notre future boutique lilloise… Plus difficile encore, mettre des collaborateurs au chômage partiel. Même si tout le monde est compréhensif, et bien que ce soit la seule solution possible, il en ressort une certaine culpabilité, un sentiment de ne pas être totalement à la hauteur de la fonction.
Le télétravail a tout de même le mérite de faire émerger des blagues, des rires, une culture d’entreprise un peu différente. Il pousse aussi les pratiques à plus de formalisme. Les processus sont écrits, mieux documentés, l’information est partagée de manière plus consciencieuse. Nous profitons de cette période pour avancer au maximum sur la structuration de la société : processus, organisation, sécurité informatique, cahiers des charges de futurs projets, roadmap informatique…
Qu’est-ce que cette crise va, selon vous, changer durablement ?
Ce qui me fait aujourd’hui plus peur que le virus, c’est ce qu’il va rester du marché après la crise : faillites, chômage, et donc pouvoir d’achat fortement réduit chez le consommateur, endettement des États, guerre des prix sur le marché, ralentissement du commerce à l’international…
Le nouvel équilibre qui se met en place permet aussi d’accélérer les transitions économiques, écologiques, sociales. Je ressens de l’optimisme et je pense que certaines valeurs vont prendre plus de place dans la société de demain, et permettre de reconsidérer le travail manuel, l’artisanat, la transparence, l’éthique des sociétés.
Cela fait d’ailleurs plaisir de voir que d’autres marques de mode participent elles-aussi à des opérations caritatives, comme la collecte de fonds #tousuniscontrelevirus organisée par la Fondation de France, l’Institut Pasteur et l’AP-HP. Nous reversons pour notre part 10% de notre chiffre d’affaires durant toute la durée de l’opération, et certains de nos collaborateurs offrent leur temps, en préparant des repas pour des soignants par exemple.
Qu’allez-vous garder comme façon de procéder et de vous organiser quand la crise sera finie ?
En termes de réactivité, l’État, mais aussi Bpifrance, les banques de détail, les fédérations, les associations et les marques ont réagi extrêmement rapidement, et de manière très volontaire. Une communication s’est rapidement mise en place, et des élans de solidarité sont très vite apparus (partages d’informations, conseils, empathie). J’espère que ce respect et ce soutien entre acteurs d’un même secteur vont poser les bases d’une concurrence plus saine.
De manière plus personnelle, ce n’est pas la première crise que nous traversons en tant que jeune société en croissance : crises humaines, crises de trésorerie, crises d’outils informatiques. Et à chaque fois, nous en sommes ressortis avec un collectif plus soudé, un vécu, une envie plus forte de travailler ensemble. Je pense et j’espère que cette période difficile sera à nouveau le révélateur des belles personnes qui nous entourent.